C‘est une petite boîte en métal, qui n’a l’air de rien d’autre qu’une petite boîte en métal… Je pensais, en commençant mon enquête, me retrouver devant un superbe alambic fluorescent et tintinnabulant au milieu d’un bric-à-brac digne du cabinet d’un docteur Mabuse. Au lieu de ça, rien que cette petite boîte connectée, tout de même, à un ordinateur. Juste un ordinateur portable, tout simple et tout gris. Ce fleuron de la technologie, premier brevet industriel de la parapsychologie, ne ressemble à rien. Je fais comme le petit portable, grise mine. Et ça se voit. « Vous vous attendiez à quoi ? » J’explique à quoi.
Mais il y a pire encore : cette petite boîte est faite pour fonctionner n’importe comment. Son cœur est un composant électronique conçu pour fabriquer du hasard… Pardon ? Ce n’est pas bien compliqué : lorsque vous prenez une paire de dés et que vous les faites rouler sur la table, vous fabriquez du hasard. Cet appareil fait la même chose, mais de façon bien plus sophistiquée : il débite à toute vitesse des suites de chiffres, au hasard. Gadget génial mais inutile ? Pas pour tout le monde. En tout cas, pas pour les chercheurs qui participent au Global Consciouness Project – le Projet conscience globale qui, paraît-il, est en train de révolutionner toutes nos connaissances sur la conscience humaine.
Notre esprit peut-il influencer le hasard ?
Tout commence à la fin des années 60, avec un physicien, Helmut Schmidt, alors directeur de recherche des laboratoires Boeing, aux Etats-Unis. Boeing, la fameuse firme d’aviation. Schmidt obtient l’autorisation d’utiliser son labo et ses compétences pour faire des recherches en parapsychologie ! Esprit éminemment créatif, il invente le premier « générateur numérique aléatoire », sorte de grosse caisse sur laquelle des ampoules s’allument au hasard. En essayant de deviner quelle ampoule va s’allumer, ce dispositif permet de faire des expériences de voyance.
Encouragé par le staff de Boeing, le physicien perfectionne son invention. Il miniaturise la boîte, ajoute des rangées d’ampoules et change la règle du jeu : il ne suffit plus de deviner quelles ampoules vont s’allumer, mais d’essayer d’influencer par la force de l’esprit l’ordre dans lequel elles s’allument. Cet exercice de "psychokinèse" donne des résultats si étonnants qu’il provoque un certain émoi dans la communauté scientifique.
Capter les émotions d’un groupe
Passons sur les vingt et quelques années qui ont suivi, pendant lesquelles ce générateur numérique a été testé des milliers de fois, et a servi d’outil de recherche dans tous les laboratoires universitaires de parapsychologie. Nous nous retrouvons en 1996 à l’université Princeton, toujours aux Etats-Unis. Cette auguste institution abrite le Princeton Engineering Anomalies Research, l’un des hauts lieux de la recherche américaine. Le professeur Roger Nelson, psychologue, s’intéresse à ces machines à fabriquer du hasard – qui n’en fabriquent plus par la force de l’esprit. Pour un psychologue, c’était faire preuve d’une nette ouverture, d’esprit justement.
Un jour, il s’interroge sur la possibilité pour cet appareil d’être influencé non par une personne, mais par un groupe. Avec son fils Greg, informaticien expert en intelligence artificielle, il met au point une nouvelle version du générateur numérique, le générateur d’événements aléatoires, plus connu aujourd’hui sous le nom de Egg. Premières expériences en groupe. On réunit une trentaine de personnes dans une salle et on leur demande de chanter, de parler, de s’amuser. L’Egg, placé dans un coin, fabrique du hasard à tout-va : le graphique, semblable à un tracé d’électroencéphalogramme, qui s’affiche sur l’écran de l’ordinateur, reste plat. Sauf lorsque tout le monde fait la même chose en même temps, méditer par exemple. La machine réagit alors comme si elle "captait" l’état d’esprit du groupe : le graphique commence à dessiner une courbe. Intrigué, Roger Nelson propose une hypothèse : lorsqu’un groupe porte son attention sur un même événement, "l’esprit de groupe" devient cohérent. Donc, si l’Egg est placé dans le "champ psychique" de ce groupe, il est influencé par des émotions, comme le calme, la peur, la joie, la concentration.
La terre entourée d’un champ psychique
D’autres chercheurs, alertés par cette surprenante découverte, s’associent au projet. En 1998, une quinzaine de Egg sont envoyés à autant de scientifiques un peu partout dans le monde. Avec une intention bien précise : un événement déclenchant une puissante émotion collective peut-il être enregistré par toutes les machines simultanément ? Si oui, cela confirmerait l’existence d’un champ psychique planétaire, quelque chose qui ressemblerait à une "conscience globale".
Les premiers tests donnent des résultats immédiats. Ainsi, lors d’événements comme les funérailles de Lady Di, les appareils, qu’ils se trouvent aux Etats-Unis, en Chine ou en France, enregistrent des variations du champ psychique. Au cours des trois années qui suivent, le Global Consciousness Project prend une ampleur inespérée. L’appareil obtient un titre de propriété industrielle, une grande première dans l’histoire de la parapsychologie. A la fin de l’année 2002, le parc de Egg sera passé de quarante à soixante-quinze machines. Deux d’entre elles sont installées en France. Toutes sont reliées à l’ordinateur central du laboratoire de Princeton via Internet, qui enregistre automatiquement, heure après heure, les données recueillies par chaque ordinateur. Le fonctionnement de ce réseau pourrait être comparé à une électroencéphalographie de notre planète : chaque fois qu’un événement collectif se produit, des fluctuations sont enregistrées. Plus l’événement est fort et médiatisé, plus la fluctuation est importante.
Le 11 septembre 2001, bien sûr, a fait crépiter toutes les machines et a fait monter les courbes vers des niveaux encore jamais atteints. Avec un détail que les scientifiques n’avaient pas encore osé souligner, même s’ils l’avaient déjà remarqué auparavant : sur les écrans des ordinateurs, les fluctuations de la conscience collective ont commencé la veille. Oui, la veille ! Notre champ psychique collectif aurait "perçu" l’événement avant qu’il ne se produise.
Nous faisons partie d’un tout
« Avec cette expérience mondiale, nous sommes en train de démontrer d’abord que notre conscience n’est pas limitée à notre corps, mais semble s’étendre dans un espace beaucoup plus vaste, explique Roger Nelson. Ensuite, qu’il semble bien exister une conscience globale dont nous faisons partie. Scientifiquement, il y a encore beaucoup à faire pour que cette hypothèse soit validée à cent pour cent. La première conséquence de cette découverte, c’est qu’il faudra réviser nombre de dogmes scientifiques sur la nature de l’esprit, de la conscience, et même de la vie. La seconde est que, individuellement, elle permet de mieux comprendre que nous faisons partie d’un tout, que nous sommes tous reliés les uns aux autres… »
Dernières nouvelles : depuis quelques mois, un autre phénomène est également observé. « Les tracés de cette électroencéphalographie de la Terre sont en constante augmentation, ajoute Roger Nelson. Comme si la conscience collective était en train de s’éveiller. » Ce qui peut correspondre au déclin de l’individualisme qui a prévalu ces dernières années au profit de la famille, du groupe, du collectif. Un sentiment que beaucoup commencent à ressentir ou à expérimenter, surtout à une époque où les catastrophes écologiques et les menaces politiques invitent à davantage de solidarité et d’intérêt pour le devenir de l’humanité.
Jung
C’est Carl Gustav Jung qui, au cours des années 20, a forgé le terme d’« inconscient collectif ». Il divisait notre inconscient en deux "territoires" : le personnel et le collectif. L’inconscient personnel est le produit des expériences propres à chacun de nous. L’inconscient collectif est né de toutes les expériences humaines depuis l’aube des temps. Il n’est donc pas uniquement la somme des inconscients personnels : c’est la mémoire psychique de l’humanité depuis sa naissance. C’est en lui que, tout au long de notre histoire, se sont cristallisés les symboles universels – que Jung a appelé les "archétypes" : le dragon, le héros, le cristal… Ils sont si forts que Jung avait pu prédire (in “Ma vie”, Gallimard, 2001) la dernière guerre mondiale bien avant qu’elle n’éclate parce que, en analysant les rêves de ses patients, il avait remarqué que Wotan – le dieu scandinave de la guerre – y apparaissait de plus en plus souvent.