Dans une époque toujours plus individualiste, les traits de personnalités égocentriques se dévoilent. Mais selon la psychiatre et auteure Marie-France Hirigoyen, il existe plusieurs degrés de narcissisme, des mégalomanes aux pervers narcissiques.
Égoïste ? Mégalomane ? Psychopathe ? Les qualificatifs pour décrire les traits de personnalités narcissiques ne manquent pas. Pire, ils ont presque le “vent en poupe”, la faute à une société toujours plus compétitrice et individualiste. Mais au lieu de dénoncer les maux de l’époque, cette sur-utilisation sémantique a plutôt tendance à dévaluer ces termes pourtant bien différents, qui représentent en réalité des degrés pathologiques différents. Car évidemment, tous les narcissiques ne tombent pas amoureux de leurs reflets dans l’eau, ni de leur selfie.
Si s’aimer et avoir confiance en soi n’est évidemment pas un défaut, ni un trouble, ça peut le devenir quand cette confiance déborde et que l’individu se met en avant, au détriment des autres. C’est à partir de là, que le narcissisme devient pathologique. Et au sein même de ces troubles, il existe différentes “catégories”.
Qui sont les Narcisse ?
Selon la psychiatre Marie-France Hirigoyen, auteure de Les Narcisse (Ed. La Découverte), il existe différentes catégories de pathologies narcissiques, les “Narcisse grandioses et mégalomanes”, “les Narcisse vulnérables” et enfin, “les pervers narcissiques ou psychopathes” qui montrent des critères spécifiques. Certains experts considèrent que ces troubles sont deux aspects qui relèvent d’une même problématique, d’autres que ce sont des pathologies distinctes qui cachent toutes deux, une grande fragilité.
“On tend classiquement à classer les pathologies narcissiques en deux catégories principales : par excès d’amour de soi, soit le narcissisme grandiose (ou mégalomaniaque) ou à l’inverse, par insuffisance de cet amour de soi, soit le narcissisme vulnérable. Ces deux pathologies [...] proviennent d’un même problème : elles masquent pareillement une grande fragilité, un manque de confiance en soi, des doutes sur ses compétences, sur ses capacités à être aimé”, écrit ainsi la psychiatre.
Narcisse grandioses et mégalomanes
Première catégorie, celle des Narcisse grandioses. Sont considérés ainsi les individus qui ont “une incapacité à aimer et à respecter l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il leur apporte, et une incapacité à se détacher d’eux-mêmes pour s’ouvrir à l’autre”. Plus globalement, “le “Narcisse grandiose” s’estime supérieur aux autres et pense qu’il devrait bénéficier de passe-droits. Au travail ou dans les soirées, il se met en avant et il se valorise aux dépens des autres”, écrit ainsi Marie-France Hirigoyen. C’est souvent à ce moment-là de la description que des images d’amis ou collègues nous reviennent en mémoire… Si dans les premiers instants, son comportement peut séduire et lui octroyer un “bon poste”, les relations finissent généralement mal.
Les Narcisse mégalo savent mieux que tout le monde, et tout ce qui sort de leur bouche est tout simplement exceptionnel. A tel point que parfois, ils aiment se réécouter.
Autocentrés, ces Narcisse ne parlent que d’eux, leurs réalisations et leurs projets “extraordinaires”, “innovants” ou “révolutionnaires”. Ils savent mieux que tout le monde, et tout ce qui sort de leur bouche est tout simplement exceptionnel. A tel point que parfois, ils aiment se réécouter. “Ils se pensent plus beaux, plus intelligents, plus importants” que quiconque. Et ils ne sont pas si rares que cela : l’experte cite ainsi des noms de célébrités politiques, sportives ou culturelles, allant de Donald Trump - évidemment - à Alain Delon, en passant par Zlatan Ibrahimovic, Yann Moix, Karl Lagerfeld ou Alexandre Benalla. Tous les Narcisse mégalo en sont pas détestables : certains se montrent brillants, charmants ou talentueux. Mais il arrive souvent qu’ils soient envieux et jaloux de celles et ceux qui brillent plus qu’eux.
Même chose en amour : après un début souvent idyllique, les promesses s’effacent et fait place à la séduction narcissique destinée à fasciner l’autre, mais pas à le combler. Peu affectueux ou impliqué, le Narcisse “grandiose” n’a besoin que de l’admiration de son ou sa conjoint.e : certains d’entre eux n’aiment pas s’engager par peur de montrer une quelconque faiblesse. Et ne vous dites pas que cela peut changer avec le temps ! “On ne guérit pas d’un trouble de la personnalité narcissique”, rappelle Marie-France Hirigoyen, “tout au mieux, cette pathologie peut se stabiliser”.
Narcisse vulnérables
Dans la seconde catégorie, celle des Narcisse vulnérables, le tableau clinique est beaucoup moins spécifique, ce qui peut fausser sa détection. “Cette pathologie n’est pas facile à différencier d’autres diagnostics cliniques, en particulier des troubles de la personnalité borderline, schizotypique ou paranoïaque”, écrit ainsi Marie-France Hirigoyen dans son ouvrage. Pourtant, comme le rappelle la spécialiste, “le narcissisme défaillant et vulnérable est beaucoup plus fréquent que le pôle grandiose”. À noter, également, que certains cliniciens considèrent cette catégorie comme la plus grave, “car elle peut parfois conduire au suicide”.
Points communs avec leurs homologues “mégalo”, les Narcisse vulnérables ont des fantasmes de réussite et de succès, et pensent que tout leur est dû. De plus, ils accordent une importance exagérée à la reconnaissance et ce qui les rend extrêmement dépendant du regard des autres. Sauf qu’au lieu d’être euphorique par leur propre réussite, celle-ci les rend anxieux, envieux et parfois dépressifs. “En général plutôt discrets et réservés, ils [...] cherchent la considération et l’amour des autres par une séduction plaintive, la culpabilisation et parfois la manipulation”, décrit ainsi l’auteure.
Derrière une présentation de douceur, d’inhibition et de vulnérabilité, les Narcisse sensitifs sont des personnes scrupuleuses, ambitieuses, mais également extrêmement susceptibles
De par ses propres observations, l’auteure explique qu’elle distingue elle-même deux profils de Narcisse vulnérables. D’une part, les individus ayant une basse estime de soi, un sentiment de dévalorisation ou d’illégitimité, qui les pousse à vouloir toujours plus de validations extérieures. D’autre part, un second profil d’individus qui eux ont une très haute estime de soi, mais qui restent méfiants. “Derrière une présentation de douceur, d’inhibition et de vulnérabilité, les Narcisse sensitifs sont des personnes scrupuleuses, ambitieuses, mais également extrêmement susceptibles, craignant en permanence qu’on leur manque de respect”, décrypte ainsi la psychiatre. Avant de poursuivre, “c’est l’affectif qui domine chez eux, mais leurs réactions sont plus dépressives qu’agressives”. Sauf quand ils subissent une situation perçue comme une grave humiliation, qui peut déclencher une réaction de vengeance disproportionnée comme par exemple “du cyberharcèlement”.
Pervers narcissiques ou psychopathes ?
Impossible de décrypter les types de Narcisse pathologiques - les grandioses et les vulnérables -, sans aborder les pervers narcissiques. Un trouble de la personnalité narcissique “extrême et dangereux puisque teinté de perversion morale”. L'auteure déplore ainsi la banalisation d’un terme pourtant important qui en fait un terme galvaudé qu’on utilise à tort et à travers pour parler d’un collègue ou d’un conjoint difficile ou égoïste.
Sans compter que même les experts ont des difficultés à s’accorder sur les délimitations d’un tel terme : les psychiatres anglo-saxons, et plus particulièrement américains, nomment par exemple ce trouble par “narcissist psychopath”, ce qui tend à brouiller les limites entre les PN et les personnalités psychopathes.
Dans une société narcissique, les critères caractérisant les pervers narcissiques sont devenus les qualités requises pour “réussir”
“Les pervers narcissiques sont incontestablement narcissiques, mais ils le masquent sous un abord charmeur et socialement conforme”, écrit ainsi Marie-France Hirigoyen. Elle rappelle aussi que leur mégalomanie n’est pas ostensible, ils n’éprouvent pas d’empathie mais le cache généralement mieux que les Narcisse grandiose, et éprouve du plaisir à faire souffrir les autres. Un portrait qui fait littéralement froid dans le dos, pourtant comme le souligne l’auteure, “dans une société narcissique, que ce soit dans les entreprises, dans le monde politique ou dans n’importe quelle activité sociale, les critères caractérisant les pervers narcissiques sont devenus les qualités requises pour “réussir”.
Fort heureusement, pour toutes ces catégories de Narcisse, et leur impact néfaste dans la société et dans les relations humaines, Marie-France Hirigoyen explique que “la prise de conscience commence à poindre”, afin d’anticiper les dérives de la promotion de ce type de comportement. “Je pense que notre civilisation est en réalité en proie aux derniers soubresauts de virilité triomphante des grands Narcisse”, écrit-elle. Et après avoir lu toutes ces descriptions, on espère simplement qu’elle a raison.